À main levée, qui a lu ce livre à l’école? Animal Farm est un classique indémodable à mon sens. Si vous faites partie des gens n’ayant pas eu la chance de le lire dans un contexte académique, je recommande fortement de continuer à lire cet article. Mieux encore, lisez cette courte histoire (moins de 100 pages!) parallèlement afin de vérifier et consolider votre compréhension.
Bienvenue à un nouveau segment de 1000 mots : les coulisses de l’Histoire. Dans ces articles, j’analyse d’un point de vue pédagogique des livres marquants du passé ou de l’actualité afin de les replacer dans leur contexte historique. L’idée est de l’étudier à la loupe pour y relever les éléments qui en font un outil d’apprentissage de l’histoire. Généralement, l’article discutera davantage de la période ou de l’événement historique dont s’inspire le livre que du livre lui-même. L’objectif étant de fournir une image globale de l’Histoire couverte.
J’omettrai inévitablement des éléments dans mon analyse et n’entrerai pas dans les détails plus qu’il ne faille. Je compte sur votre bonne foi pour voir cela comme une opportunité d’élargir mes connaissances, alors merci de partager vos impressions dans les commentaires! Mon objectif est de relever les éléments que remarque mon cerveau d’historienne.
Sans plus attendre, penchons-nous sur l’une des oeuvres les plus connues de George Orwell, Animal Farm.
Synopsis
À Manor Farm, les animaux sont traités comme des bêtes inférieures à l’homme représenté par M. Jones. Il est dit que celui-ci et ses employés sont avares, ne se soucient pas du bien des animaux et ne pensent qu’au profit. Un jour, les animaux expulsent les humains et prennent contrôle de la ferme. La révolution est enclenchée. Rapidement, les cochons prennent la tête et dirigent leurs camarades vers le rêve de l’autarcie où l’intervention humaine n’est plus nécessaire. Chacun jure de se donner corps et âme à la révolution et se mettent au travail. Mais la nature humaine s’insinue progressivement dans l’esprit malicieux des dirigeants et le rêve de l’animalisme est en péril…
Mise en contexte
Écrit en 1943-1944 et publié l’année suivante, Animal Farm est une allégorie de la révolution russe ayant menée à la création de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). En février 1917, des femmes russes se rassemblent dans les rues de Moscou. Fâchées et exténuées de vivre dans la famine, leurs protestations les amènent devant le palais impérial où trône le tsar Nicholas II depuis 1894. Des travailleurs se joignent aux femmes afin de transmettre leur mécontentement. Le tsar ordonne à ses gardes de disperser la foule avec des coups de feu, quitte à blesser ou tuer des civils. Mais contrairement à un soulèvement similaire survenu en 1905, les forces armées refusent de faire feu. Ils se rangent silencieusement derrière les russes à bout de l’hypocrisie royale.
C’est ainsi (très grossièrement) que la révolution russe prend place. Le tsar est forcé d’abdiquer, pour de bon cette fois, et des hommes s’introduisent dans le palais. Nicholas II, sa femme Alexandra et leurs enfants sont tous fusillés sur place.
Les groupes révolutionnaires des bolchéviques et des menchéviques prennent le contrôle de la Russie en mettant en place un gouvernement provisoire le temps d’organiser des élections. Mais les différences de points de vue introduisent une énorme instabilité. De cette façon, une seconde révolution se produit en octobre 1917 à l’issue de laquelle les leaders bolchéviques Lénine et Trotsky lancent leurs partisans dans une révolte armée contre le gouvernement provisoire de Kerensky. Ce gouvernement provisoire est renversé, la Russie se retire de la Première Guerre mondiale et devient le premier état socialiste au monde.
Avertissement
Je prends le temps de mentionner que cet article n’est pas un article scientifique. Personne ne le révise à part moi et je ne prétends pas être une spécialiste de l’histoire communiste. Bien que mon intérêt réside dans la même aire géographique et temporelle, le communisme en tant que concept n’est pas mon champ d’expertise. En gros, je ne détiens aucune vérité absolue. Je me permets d’en discuter cependant parce que les cours que j’ai pu suivre et les sources que je consulte vont dans ce sens et de je détiens une compréhension approfondie du sujet pouvant bénéficier au grand public.
Je vous invite à partager vos impressions en commentaire. Il me fera un immense plaisir (véritablement) d’en discuter ensemble!
Voyons maintenant comment Animal Farm revisite cette page historique du régime soviétique.
Chapitre 1
L’histoire commence avec une brève mise en contexte de la vie sur Manor Farm. Les animaux y sont traités comme des bêtes inférieures à l’homme représenté par M. Jones. Il est dit que celui-ci et ses employés sont avares, ne se soucient pas du bien des animaux et ne pensent qu’au profit. Leur participation est minime dans la production et la grande majorité du labeur est accomplie par les animaux qui ne récoltent que le minimum, voire moins encore.
Un jour, un cochon nommé Old Major partage avec les animaux un rêve qui lui est venu durant son sommeil. Il lui révèle que la vie misérable et dure des animaux est due à la supériorité de l’homme dans la chaîne. En se débarrassant de l’humain et en se gouvernant eux-mêmes, les animaux trouveraient le bonheur et l’accomplissement. Une révolution s’impose. Tous se mettent à rêver consciemment à cette réalité.
« Man is the only creature that consumes without producing. […] Yet he is lord of all the animals. » (12)
On voit immédiatement le parallèle entre cette histoire fictive et l’histoire réelle de la Russie pré-révolutionnaire. Ce que promettent les deux figures révolutionnaires (Old Major et Vladimir Lénine) est la liberté. Le sentiment d’autodétermination et l’élimination de l’aristocratie (M. Jones et le tsar Nicholas II) en faveur de la classe ouvrière. Avez-vous déjà entendu le terme « dictature du prolétariat »? Le prolétariat est la classe sociale travaillante, la couche détenants la majorité des membres de la société. Comme Lénine, Old Major souhaite offrir à ses semblables le fruit de leur récolte plutôt qu’une vie misérable.
« All men are enemies. All animals are comrades. […] And remember also that in fighting agains Man, we must not come to resemble him. Even when you have conquered him, do not adopt his vices. » (14)
Old Major est un visionnaire et un rêveur. On ne saura jamais comment il aurait agi s’il avait vécu la révolution de son vivant, tout comme on ne saura jamais comment Lénine aurait réagi en voyant ce qu’est devenu sa révolution prolétarienne…
Chapitre 2
Après le décès de Old Major, 3 cochons prennent l’initiative de rendre possible sa vision. Snowball, Napoleon et Squealer déterminent que cette tâches incombent aux animaux les plus intelligents, soit eux-mêmes. Ils introduisent la notion d’Animalism, un système de pensée s’enracinant dans les principes décrits par Old Major. On voit tout de suite la similitude entre animalisme et communisme (ou socialisme). Les 3 s’efforcent à les enseigner aux autres animaux de la ferme.
Puis vient le jour de la révolution. Tel que mentionné ci-haut, les révolutions russes commencent par un sentiment répandu à travers la population : la faim. Animal Farm emploie également le problème de la famine pour entamer sa révolution. Dans les deux cas, le peuple sort vainqueur (du moins sur le coup). Les animaux mettent le feu à tout ce qui leur rappelle la cruauté de leur ancien maître. Cravaches, fouets, harnais, chaînes, mords, couteaux, ciseaux, pince-mouchette, anneaux… Même les rubans des chevaux, un objet sur lequel nous reviendrons subséquemment. Puis, les cochons érigent un panneau contenant les 7 commandements de Animal Farm, une simplification de l’animalisme :
1. Whatever goes upon two legs is an enemy.
2. Whatever goes upon four legs, or has wings, is a friend.
3. No animal shall wear clothes.
4. No animal shall sleep in a bed.
5. No animal shall drink alcohol.
6. No animal shall kill any other animal.
7. All animals are equal.
Ces commandements satisfont tous les animaux de la ferme. C’est à ce moment que commencent les problèmes… On le voit déjà avec la question du lait. Pendant que les animaux travaillent à la récolte, les cochons dirigent les opérations et le lait disparaît mystérieusement. J’en viens à penser qu’il faut faire le parallèle avec la révolution de février où le gouvernement provisoire ne parvient pas à amenuiser les problèmes dès le départ. Serait-il un signe avant-coureur de la part de l’auteur?
J’aimerais attirer votre attention sur un passage très court et qui ne revient qu’une autre fois ultérieurement dans l’histoire. Les cochons décrivent le corbeau Moses comme un espion et un allié de M. Jones après son expulsion. Pourquoi? Parce que Moses parle aux animaux d’une terre nommée Sugarcandy Mountain où tous les animaux se rendent à leur mort. Ils y vivent bien, en liberté et en abondance jusqu’à la fin des temps. Vous l’aurez compris, Surgarcandy Mountain désigne le paradis.
La raison pour laquelle Snowball, Napoleon et Squealer démentent suit l’histoire soviétique. Par principe, le communisme est athée. Il glorifie le développement technologique plutôt que la religion. Voilà un détail intéressant que j’ai noté pour la première fois lors de cette relecture. Si vous vous demandiez ce qu’il en était, voilà!
Chapitre 3
Le troisième chapitre ouvre sur les premiers jours de la révolution. Les cochons ne travaillent pas, mais sont plutôt en charge de superviser les activités à cause de leur « intelligence supérieure ». On donne l’impression que la qualité de vie pour tous s’améliore grâce à l’auto-gouvernance. Le chapitre illustre cependant comment ce n’est pas le cas; entre autres, les cochons parviennent à convaincre les animaux que boire le lait et manger les pommes est un sacrifice. En d’autres mots, les cochons se réservent davantage de nourriture et moins de travail au nom du progrès. Et comment cet argument les convainc-il? Avec l’emploie de la terreur.
« It is for your sake that we drink that milk and eat those apples. Do you know what would happen if we pigs failed in our duty? Jones would come back! » (30)
Une particularité des régimes autoritaires est d’utiliser la violence pour régner. La violence peut être physique et brutale (on en verra un exemple sous peu). Elle peut être pire à certains égards et devenir malicieuse. La violence psychologique fait des ravages, laissant des traces indéfiniment. Gouverner une population éprise de terreur est une stratégie offrant l’occasion de l’endoctriner. Et c’est ce que parvient à faire le gouvernement soviétique de Joseph Stalin.
Dans Animal Farm, Snowball et Napoleon, les principaux en charge, s’opposent constamment. Les idées de l’un déplaisent forcément à l’autre. Ce que le lecteur retient de ce chapitre est donc la stagnation. On met en place des comités pour chaque espèce et on leur apprend à lire. Mais tous ces projets sont des échecs. Cela met en évidence la réalité à laquelle s’est frappée l’URSS à ses débuts. Plus encore, la situation illustre comment la gouvernement choisit de réagir. Comme Napoleon, il mise sur l’éducation des jeunes, sur leur formatage à l’image qu’on souhaite leur donner. Sur l’endoctrinement… Un autre exemple parfait serait les jeunesses hitlériennes encouragées par le parti national-socialiste des travailleurs allemands (parti nazi). Le principe demeure le même : former la jeunesse à obéir à nos idéaux. Voilà ce que cherche Napoleon en prenant sous son aile les chiots de la ferme.
La notion de terreur et d’endoctrinement est essentielle à saisir ici.
Petite mention sur le drapeau d’Animal Farm. On remplace le rouge par du vert et le marteau et l’enclume par un sabot et une corne pour rappeler le drapeau communiste. Snowball établie aussi que l’objectif est de libérer les animaux du monde entier de l’emprise de la race humaine. Cela reflète directement la peur occidentale que l’URSS ambitionne à convertir le monde entier au socialisme, ce qui est sujet à débat dans la communauté historienne.
Chapitre 4
Orwell discute maintenant de la perception extérieure de la ferme. Il dit que les humains se sentent menacés par la souveraineté animale et se mettent à répandre des faussetés sur elle. On se demande alors qu’elle est l’origine de ce sentiment de menace. Le changement et l’inconnu sont menaçants, ils font peur. Peu de choses sont plus terrifiantes que celles qu’on ne comprend pas.
« Nevertheless, they were both thoroughly frightened by the rebellion on Animal Farm, and very anxious to prevent their own animals from learning too much about it. » (32)
Le chapitre 4 explore le mythe de l’expansion communiste mondiale. J’emploie le terme « mythe » volontairement pour les raisons suivantes. L’Histoire montre que les dirigeants communistes, spécialement Stalin, cherchent à créer une zone tampon entre l’URSS et le monde occidental. Il s’agit d’États indépendants à la bordure de l’URSS qui agissent comme protection devant une possible attaque occidentale (principalement américaine). Tant que les pays de cette zone sont favorables au système communiste soviétique, ils aident à maintenir une paix relative entre les deux grandes puissances (URSS et États-Unis). Ces États demeurent indépendants, ne faisant pas partie de l’URSS, mais sont des pays satellites, c’est-à-dire qu’ils sont dans la sphère d’influence soviétique plutôt qu’américaine. Ils ont donc des gouvernements socialistes/communistes.
Outre cette zone tampon, les autres pays adoptant des régimes communistes sont des pays où cette dictature du prolétariat apparaît comme une solution à la misère et la pauvreté. Cela apparaît cependant plus tard dans l’Histoire, au-delà de la période explorée par Orwell.
La confrontation avec Foxwood montre les premiers signes de violence physique à Animal Farm. Dans le feu de l’action, Boxer tue un homme de façon non préméditée, ce à quoi Snowball répond : « War is war. The only good human being is a dead one. » (35) Je ne connais pas l’origine de cette citation. Mais ce que je sais, c’est que des américains l’utiliseront à leur tour une décennie plus tard sous la formulation suivante : « The only good communist is a dead one. »
Toujours est-il qu’à partir de ce moment, on sent un changement d’attitude radical vis-à-vis de la violence chez les animaux.
Chapitre 5
Ma première remarque de ce chapitre concerne Mollie. La jument a déjà fait part de son désir de continuer à porter ses rubans dans le passé, ce qui déplaît aux cochons. Ici, il y a des rumeurs comme quoi elle permettrait aux humains du champ avoisinant de lui parler et de la caresser. Éventuellement, Mollie disparaît de Animal Farm. Les pigeons disent l’avoir aperçu sur une autre ferme, celle-ci dirigée par des humains (Willingdon). Mollie ne revient plus dans l’histoire par la suite.
Que doit-on déduire de ce passage? Il est évident que la révolution ne plaît pas à tout le monde. Mollie représente ces Russes dont la vie est chamboulée après les événements de 1917 et qui auraient souhaité demeurer dans un empire comme auparavant. J’aimerais attirer votre attention aussi sur le parallèle qu’on peut faire aujourd’hui avec la chute de l’URSS. Nombreux sont les individus qui regardent leur vie dans l’URSS avec nostalgie, pour diverses raisons. Cela peut paraître incompréhensible d’un point de vue extérieur car on connaît toute les difficultés, les embûches et la misère que cette parcelle de l’histoire a amenés au peuple russe. Mais la réalité telle qu’elle l’était présentée à la population était une toute autre histoire.
Le chapitre continue avec les divergences d’opinion entre Snowball et Napoleon. Le premier propose des idées pour développer la terre. Ses projets sont ambitieux et demandent beaucoup de travail et d’effort physique, mais les avantages incluent une meilleure qualité de vie pour tous, une abondance de nourriture et une source d’électricité constante.
« In glowing sentences he painted of Animal Farm as it might be when sordid labour was lifted from the animals’ backs. His imagination had now run far beyond chaff-cuters turnip-slicers. » (41)
J’y vois ici la notion de réalisme socialiste, un courant artistique promouvant les principes du communisme soviétique. Le fait d’utiliser un objet comme symbole du pouvoir d’un système de pensé s’encadre bien dans cette veine. Snowball instrumentalise le moulin qu’il veut construire de manière à lui conférer le rêve communiste. Face à cet enthousiamse, Napoleon s’oppose. Plutôt que de miser sur le contrôle des variables contrôlables, sa stratégie repose sur la confrontation avec le reste du monde; convaincre les fermes environnantes d’adhérer à l’animalisme et prendre les armes contre les humains.
Ces deux visions entrent en contradiction sur l’idée dont on a parlé plus haut, celle de l’expansion mondiale du communisme. Je pense qu’on peut établir un parallèle direct avec l’histoire russe dans ce sens : Léon Trotski soutenait l’idée d’une « révolution permanente » dont l’un des principes repose sur la nécessité d’accomplir la révolution socialiste dans les sociétés capitalistes du monde entier. Cela entre en contradiction avec la vision de Joseph Staline et d’une « révolution d’un seul pays ». Napoleon pense comme Trotski, et Snowball comme Staline.
Étrangement, lorsqu’on compare les deux individus à nos personnages de Snowball et Napoleon, les rôles sont ensuite inversés. La scène où les chiots isolés par Napoleon pourchassent Snowball et le forcent à l’exil amorce l’un des deux thèmes les plus poignants et, je dirais, les plus importants du livre : la terreur, la violence et les purges.
Au final, Napoleon chasse Snowball et s’approprie ses idées. Il lui retire tout le mérite qu’on lui avait conféré après la Bataille de l’Étable et blasphème son nom de traître. Il paraît clair que Napoleon marchera désormais sur quiconque souhaitant lui retirer le pouvoir.
Chapitre 6
Les animaux travaillent comme des esclaves à la construction du moulin. « This work was strictly voluntary, but any animal that absented himself from it would have his rations reduced by half. » (46) Dans cette dynamique, le personnage de Boxer se démarque par ses efforts surhumains (il est un cheval, mais vous comprenez l’idée) et attire l’admiration de tous. Cela me rappelle la montée en popularité du stakhanovisme, ou l’apologie du travailleur soviétique. On récompense la productivité physique d’un individu en en faisant un modèle pour la société. Cela permet la promotion du mode de vie dur et de l’importance de la productivité. Bref, Boxer devient le stakhanovite de Animal Farm.
Vient ensuite le second des deux thèmes le plus importants du livre selon moi : la censure. Soudainement, Napoleon prend la décision de faire du commerce avec les hommes. Les animaux sont perplexes puisqu’ils se souviennent que l’une des règles suite à l’expulsion de M. Jones était l’interdiction d’utiliser de l’argent ou de marchander avec les humains… Mais en bon dictateur, Napoleon les rassure :
« He assured them that the resolution against engaging in trade and using money had never been passed, or even suggested. It was pure imagination, probably traceable in the beginning to lies circulated by Snowball. » (49)
La réécriture de l’histoire est un élément crucial à comprendre du système soviétique. Raturer, ignorer et même nier les événements passés est une spécialité de l’URSS. Son gouvernement est connue pour avoir modifié des photographies et des textes des années après leur publication afin de « rectifier » l’histoire. C’est ce prinpice qu’emploient les cochons sous la direction de Napoleon. C’est ainsi que la première règle est brisée.
Il faut attendre peu de temps avant qu’une seconde règle soit brisée : les cochons emménagent dans la maison des Jones. Ils mangent à la table à manger et se détendent dans le salon. Mais le plus alarmant est qu’ils dorment dans des lits humains. Les animaux sont convaincus d’avoir suivi une interdiction de dormir dans un lit. Mais lorsqu’ils retournent voir l’écriteau, soudainement le principe lit : « No animal shall sleep in a bed with sheets ». Voilà l’image que nous venons de dresser. Les cochons conservent le contrôle en manipulant l’information qui circule sur la ferme et en la modifiant au besoin. Encore une fois, l’argument qui clou le bec à tout le monde est le suivant : « Surely none of you wishes to see Jones back? »
Le chapitre se termine avec la sentence à mort lancée envers Snowball pour avoir soi disant détruit le moulin durant la nuit. On arrive à l’époque des purges staliniennes à grands pas…
Chapitre 7
On apprend que la situation alimentaire s’amoindrit sur la ferme. La famine les guette. Pourtant, les fermes environnantes n’en savent rien parce que les cochons n’y laisse rien paraître. Ils s’arrangent même pour que l’homme avec qui il font du commerce répande des rumeurs comme quoi la famine se tient loin d’Animal Farm.
« It was vitally necessary to conceal [the fact that starvation seemed to stare them in the face] from the outside world. » (54)
Protéger son image et convaincre les animaux que la famine n’existe pas, tel est l’objectif. Cela nous ramène à l’endoctrinement et à la réécriture narrative dont on parlait au chapitre 6. Il est impossible de montrer que notre système ne fonctionne pas ou connaît des ennuis.
Un élément sur lequel je n’ai pas insisté jusqu’à présent est le culte de la personnalité. On voit de plus en plus les cochons idolâtrer Napoleon et inciter les autres animaux à faire de même. Le fait que Squealer parle en son nom et que dans ce chapitre, « Napoleon rarely appeared in public [and] when he did emerge, it was in a ceremonial manner » (55), on l’introduit comme une figure à part des autres. Un principe derrière le culte de la personnalité est d’attribuer une association divine à une personne. Ses rares apparitions publiques contribuent à l’élever au rang des dieux mythiques et lui confèrent en pouvoir dans l’esprit des gens. Rien n’est laissé au hasard.
Et avec du pouvoir, tout est permis. Napoleon continue à accuser Snowball pour toutes les difficultés de la ferme. Il stipule que celui-ci vient la nuit pour faire régner son chaos. Mais l’apogée de son exercice autoritaire du pouvoir vient lorsqu’il parvient à tirer des fausses confessions de la part des animaux. Ils prétendent avoir aidé Snowball dans ses plans de trahison et d’accomplir ses actes de sabotage encore à ce jour. Cela est un copier-coller des purges staliniennes. N’importe qui peut être accusé de n’importe quoi et pour n’importe quelle raison. Ils sont torturés n’importe comment et révèlent n’importe quoi en espérant que ce soit ce que leurs détracteurs veulent entendre. Et au final, une atmosphère de paranoïa saisi tout le monde.
À partir de ce moment, on voit la tristesse de Clover prendre le dessus alors qu’elle se remémore les premiers temps de la révolution.
« If she could have spoken her thoughts, it would have been to say that this was not what they had aimed at when they had set themselves years ago to work for the overthrow of the human race. » (62)
C’est le premier passage qui me colle une boule à la gorge. La réalisation que le chemin qui se dresse devant elle n’a rien à voir au rêve de Old Major. Et c’est un sentiment partagé par beaucoup de russes après les révolutions de 1917.
Chapitre 8
La tuerie du chapitre 7 enfreint encore une fois un principe de l’animalisme, ce que les animaux suspectent. Mais à leur retour devant l’écriteau, il y est écrit : « No animal shall kill any other animal without cause. » (65) C’est la troisième instance où Napoleon et les cochons défient les lois précédemment établies. Cela renforce les similitudes avec l’URSS et son système de réécriture historique.
Parlons un peu d’économie. Squealer prend l’habitude de réciter les statistiques de production chaque dimanche matin. Ces nombres démontrent toujours une amélioration de la production avec des écarts astronomiques. Les figurent augmentent par 200, 300 ou 400% chaque semaine. Mais quelle efficacité! Impossible de croire que la famine soit une réalité. Et pourtant, ils ne voient jamais une augmentation de leurs rations. On fait face à 2 possibilités. Soit la production augmente véritablement, mais ce ne sont que les cochons qui en profitent. Soit la production est véritablement en chute libre. Peu importe, l’essentiel demeure identique : on leur ment.
Je ne me souviens plus exactement à quel moment, mais il est question d’un plan de production sur une durée de 5 ans ou quelque chose dans le genre. Voilà une représentation directe des plans quinquennaux du régime communiste. Ce système d’économie planifiée a fait des désastres parmi la population. Le gouvernement planifie une production pour les 5 prochaines années, incluant des quotas de production, des moyens d’inciter ou de punir les travailleurs selon leur niveau de productivité, et l’orientation de la production. On voit les ravages dans Animal Farm qui reflètent exactement ce qui s’est produit dans les pays soviétiques.
Notre lecture continue de mettre en évidence le culte de la personnalité de Napoleon. Son nom s’accompagne désormais de termes de grandeur, tel que « le Camarade » et « notre Leader » en plus d’adorner de nouveaux titres comme « Father of All Animals » et « Terror of Mankind ». La chanson composée en son honneur est l’apogée de ce culte. Pour vous donnez une idée, Joseph Staline était surnommé « le Petit Père des Peuples » pour souligner son rôle de protecteur et « le Maître ». Ce dernier met l’emphase sur son pouvoir absolu…
Les rumeurs répandues concernant le traitement des animaux par les humains sur les autres fermes sont décrites en long et en large par la suite. Et lorsque ces hommes viennent détruire le moulin, qui a pris un autre 2 ans à construire, on note la désillusion des leaders. À leurs yeux, les animaux peuvent encore donner et sacrifier leur vie pour reconstruire le moulin. Ils ne voient pas comment les 4 dernières années de travail acharné les a brisé.
Finalement, un autre principe de base est modifié après un mystérieux accident impliquant Squealer et un pot de peinture. Désormais on lit « No animal shall drink alcohol to excess. » (76) Veuillez noter que Napoleon est aussi aperçu portant un chapeau de M. Jones.
Chapitre 9
Le thème de la famine nous est très familier à ce point de l’histoire. Les animaux notent que malgré la réduction constante de leurs rations, les cochons, eux, semblent prendre du poids. Si les chiffres de production sont si bons qu’ils ne le disent, qui en tire profit? Certainement pas les travailleurs. Et les seuls à continuer à se reproduire considérablement sont les cochons. Une question me vient à l’esprit : une fois que tous les travailleurs seront décédés, qui continuera la production? Voilà un élément qui n’est pas abordé dans Animal Farm (probablement parce que ce n’était pas un soucis en URSS) mais sur lequel on peut spéculer.
La ferme devient un jour une République officielle et se retrouve à la recherche d’un Président. « There was only one candidate, Napoleon, who was elected unanimously. » (80) Je crois qu’il aurait été intéressant si un autre cochon se présentait contre Napoleon. En coupant court à cette idée, on ne révèle à peu près rien du système autoritaire de manière général. L’une des caractéristiques fondamentales de l’autoritarisme est la notion de parti unique. Le parti du gouvernement est la seule idéologie politique permise au sein de la nation. Il ne peut y avoir aucune opposition. Il va donc sans dire que la liberté de presse n’existe pas (on a vu une peu cette idée précédemment avec le concept de la censure).
Une seconde observation sur ce point est le support unanime que reçoit Napoleon. Est-il réellement unanime, ou vient-il plutôt du fait qu’il est craint, ou encore qu’il trafique le vote? Ce sont des options tout à fait plausibles dans ce genre de régime.
« Boxer was never seen again. » (85)
La mort de Boxer me rend très émotive. Voir un personnage aussi fort que lui, l’emblème du rêve socialiste et une source d’inspiration pour tous ses amis, périr sans jamais recevoir de reconnaissance de ceux qui profitent de son dur labeur me fend le coeur. Je ne peux pas imaginer la souffrance de devoir dire adieu à ce rêve et la douleur des autres animaux lorsqu’ils comprennent la vérité sur son décès. Dans un sens, on comprend que les animaux choisissent de croire la version modifiée de Napoleon. Ça fait moins mal d’imaginer que Boxer est parti doucement et encore rempli d’espoir.
Chapitre 10
Les années passent. Certains animaux sont décédés et oubliés. Clover devrait être à la retraite depuis 2 ans, mais ce n’est pas le cas. On apprend que Animal Farm a accueilli de nouveaux membres et que leurs qualités de travailleurs dépassent largement leurs capacités intellectuelles. Des forces fraîches pour continuer le labeur ardu dont l’objectif n’est plus de construire un meilleur monde pour les animaux. Il n’y a que le profit.
« Somehow it seemed as though the farm had grown richer without making the animals themselves any richer – except, of course, for the pigs and the dogs. » (88)
Malgré la faim, la fatigue, la chaleur, le froid et les mouches, l’honneur prévaut toujours. Les animaux gardent espoir que le rêve de Old Major se réalise un jour. Ils croient dur comme fer aux principes de l’animalisme originel. La nostalgie d’un rêve brisé ne les quitte jamais. Orwell mentionne que la fierté de la révolution et du travail s’est cristallisée avec le temps. Comme en URSS, la valeur que les russes s’attribuent découle des événements et figures du passé. Ils se définissent en fonction de l’héroïsme de leur parcours, ce qui les empêche de détester leur réalité.
On arrive au moment le plus marquant de l’histoire, celui où les deux derniers principes encore intacts sont violés. En marchant sur 2 pattes plutôt que 4 et en réinventant le slogan proclamé avec fierté par les moutons, les cochons détruisent tout ce qu’il reste du rêve socialiste. Je ne vois pas cette chute comme un copier-coller d’un événement réel de l’histoire de l’URSS, mais comme la culmination du pouvoir corrompu du gouvernement soviétique.
« ALL ANIMALS ARE EQUAL
BUT SOME ANIMALS ARE MORE EQUAL THAN OTHERS. » (91)
Animal Farm n’est pas un livre émotif. Il ne montre pas beaucoup d’émotions, ce qui fait en sorte que le lecteur doit les vivres lui-même. C’est très puissant comme écriture. Je n’arrive pas à mettre les mots exactement. Je termine le tout avec la dernière phrase de George Orwell parce qu’il n’y a rien de plus vrai qui pourra jamais être écrit.
« The creatures outside looked from pig to man, and from man to pig, and from pig to man again; but already it was impossible to say which was which. » (96)
Animal Farm trône au sommet des classiques. Je suis toujours émerveillée de voir à quel point l’analogie est réussie. L’histoire capture les éléments fondamentaux du régime stalinien et insuffle l’essence communiste avec brio. Pour quelqu’un qui étudie l’histoire et porte une attention particulière à l’Union soviétique, j’adore ce livre.
Pour des articles avec des sujets historiques intéressants à observer, consulter le mot-clic « fiction historique » sur 1000 mots. J’ai beaucoup d’idées de livres à étudier en détails dans ces chroniques. Écrivez vos suggestions en commentaires, question que je vois vos intérêts un peu. D’ici la prochaine fois, bonne lecture!